Marc Veyrat: portrait gastronomique

14 oct

Marc Veyrat est considéré comme un des meilleurs cuisiniers de sa génération. Deux fois 20/20 au Gault & Millau, deux fois 3 étoiles au Michelin, c'est un homme plus couvert de médailles qu'un général nord-coréen. Fort heureusement, les siennes sont des récompenses du plaisir, récoltées au fil de son incroyable ascension culinaire.

Après une absence prolongée suite à un terrible accident, il fait son retour et ouvre un nouveau restaurant à Manigod appelé La Maison des Bois. Une auberge plantée en pleine nature autour de laquelle poussent ses plantes sauvages et broutent ses animaux. Et le revoilà parti comme en quarante, plus nature que jamais.

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Du 28 Octobre au 1er novembre, Marc Veyrat est l'invité du Mandarin Oriental à Genève. Pour préparer cet événement, un repas préliminaire a été organisé au Café Calla. Et devinez quoi? Tonton Guérilla Gourmande était invité. Ça vous la coupe hein? Avant de me convier à ce repas gastronomique de haut vol, je ne crois pas qu'ils avaient vu qu'on fait dans le bacon de dinde, ici. Enfin, en réfléchissant bien, c'est un peu de la cuisine moléculaire aussi. En tout cas, un grand merci à la très smart équipe du Mandarin Oriental pour son sens de l'accueil et pour m'avoir donné cette opportunité incroyable de découvrir un cuisinier hors du commun.

Ce dîner d'exception est aussi l'occasion de trouver une réponse à une question qui vous taraude peut-être autant que moi: Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec ce mec au chapeau?

Le metteur en scène

Je ne sais pas vous, mais pour moi, Marc Veyrat c'était avant tout le gars un peu bizarre qui fait des pubs pour le jambon. Ben oui, à l'époque où il était au sommet de sa gloire, je ne courrais pas les restaurants gastronomiques comme aujourd'hui. Je savais vaguement que c'était un cuisiner-star sans vraiment réaliser à quel point.

Après avoir fait mes devoirs, appris les grandes lignes de sa vie, et surtout testé sa cuisine au Mandarin Oriental, il est devenu pour moi une sorte de metteur en scène du manger, un genre de Steven Spielberg de la casserole.

Marc-Veyrat-truite-fermé

Je m'explique: Un menu de Marc Veyrat, c'est de l'aventure à chaque assiette. Regardez cette truite, prisonnière entre deux écorces d'épicéa. A vous de la libérer pour découvrir son écrin de verdure puis la napper de son jus présenté dans une éprouvette de laboratoire. Alors moi, forcément je suis tout content de déballer mon cadeau, de jouer au petit chimiste et de goûter un superbe plat de poisson.

Marc-Veyrat-truite-ouverte

Source d'émotion, la cuisine de Marc Veyrat est un autant un spectacle participatif qu'un repas convivial. On se croirait un peu dans un atelier découverte avec l'apparition d'une nouvelle plante sauvage à chaque plat. Par exemple, avec notre truite, c'est le serpolet, un cousin du thym, qui est mis à l'honneur.

L'homme de la campagne

Marc Veyrat est très inspiré par les montagnes et forêts savoyardes où il a grandi. Cet attachement se traduit par l'utilisation de plantes sauvages de sa région mais aussi par la mise en valeur d'un certain mode de vie plus rural. Malgré les quelques technologies qu'il utilise, l'homme a fait du retour à la campagne son combat de cuisinier. Tout, des ingrédients à la décoration est fait pour nous ramener vers un univers presque oublié et parfois méprisé.

Marc-Veyrat-déco

Bien-sûr, tout est bio, le plus souvent cueilli par le chef lui-même et ses équipes. Son beurre provient des vaches qui dorment tranquillement sous son nouveau restaurant, la truite est du lac, tout comme les écrevisses.

Mais la démarche ne s'arrête pas au produit. Ainsi, au lieu des petits pains variés de rigueur dans le milieu gastronomique, ici, c'est une miche entière qui est servie et coupée par les convives à l'Opinel. Certains plats vont jusqu'à rendre hommage aux anciennes pratiques paysannes oubliées, comme avec ce morceau de pain et sa traînée de jus qu'on se contentera de saucer pour ensuite apprendre une tradition ancestrale. Je ne vous en dis pas plus car la surprise fait partie du plaisir.

Marc-Veyrat-saucer

Dans la même veine, on ne peut qu'être touché par la modestie et la simplicité du délicieux tendron de veau des sous-bois cuit dans le four à pain. Un plat de ragoût servi avec des champignons sauvages qui évoque la campagne et une tradition culinaire éloignée du monde des grands restaurants aux assiettes graphiques et minimalistes.

L'expérimentateur

Cette conscience affûtée de l'héritage légué par nos ancêtres n'empêche pas le chef au chapeau d'explorer les techniques modernes pour raconter ses histoires pastorales. Ici, on le voit travailler à l'azote pour préparer un "bonbon magique" dont le goût évolue en fondant, d'une fraîcheur végétale vers des arômes plus puissants et terreux de champignons. Un vrai coup de maître.

Marc-Veyrat-au-travail

Monsieur Veyrat est un homme controversé et provocant, à l'image de sa cuisine. Difficile de ne pas être déstabilisé par certains mariages inattendus ou contre-intuitifs. L'acidité choque le palais alors que des bonbons sucrés viennent adoucir des plats qu'on attendrait salés.

Marc-Veyrat-coulis-dache

Le Yaourt de foie gras virtuel est un exemple frappant de cette cuisine à rebrousse-poil. C'est un bon gros coup de boule, avec son coulis d'oxalis très acidulé et ses hosties de myrrhe sucrées comme les champignons en guimauve que les gamins achètent au kiosque.

Marc-Veyrat-yaourt-de-foie-gras

Le militant

Je l'ai dit, tout le repas est construit autour de produits cultivés ou récoltés au plus près de leur état naturel. Mais l'engagement se poursuit au-delà de la cuisine avec la Fondation Marc Veyrat qui a pour but d'encourager les nouvelles générations, au travers d'ateliers et de rencontres, à renouer avec une alimentation plus respectueuse de l'environnement. Une nouvelle preuve que la cuisine de Marc Veyrat engage activement le mangeur et s'inscrit dans une démarche de réflexion sur la place de l'alimentation dans notre vie quotidienne.

Marc-Veyrat-oeuf

C'est un peu à double tranchant parce que le goût n'est pas toujours en première ligne. Disons les choses clairement, vous pourriez ne pas être convaincu par tous les plats (je ne l'ai pas été). Vous pourriez même être un peu agacé par la démarche très politique d'un chef qui a fait de son engagement écologique un cheval de bataille.

Marc-Veyrat-fromages

Alors l'expérience vaut-elle la peine? C'est une question importante parce que vous devrez peut-être vendre votre collection de Tintin pour vous offrir un peu de l'art de Marc Veyrat. A vous de savoir jusqu'où votre curiosité culinaire vous porte. Une chose est sûre, l'expérience est unique et vous ne serez pas près d'oublier votre repas. Et je ne dis pas ça pour excuser des plats qu'au fond j'aurais considéré comme ratés ou parce que je n'ose pas remettre en cause le travail d'un chef si prestigieux.

Il aurait pu se contenter de nous en foutre plein la vue avec ses produits, comme avec son époustouflant parmesan vieilli 60 mois à l'aspect magnifique de granit. Mais il choisit d'avoir un propos, quitte à prendre des risques. Et ça, ça se respecte. Il vous porte l'estocade et vous pousse dans vos retranchements. Et, après tout, dans cette gamme de prix, n'est-ce pas ce qu'on attend?

 

Café Calla at Mandarin Oriental
Quai Turrettini 1
Genève 1201
Tél: 022 909 00 00

10 Responses to “Marc Veyrat: portrait gastronomique”

  1. Sebastien.N octobre 15, 2014 at 18:49 #

    Très bonne expérience que celle de Marc Veyrat.
    Il a eu son heure de gloire, mais il est vrai qu'il faut aimer le coté expérimental qui peut parfois être déroutant.
    Quant aux quantités, dans mon souvenir, elles sont plutôt adaptées pour les estomacs de moineaux...
    Bref, pour moi cela reste très cher pour de la cuisine typée "moléculaire", bien que la mise en scène soit là! Je crois qu'il y a largement aussi bien, pour moins cher et pour un menu plus charnu...
    J'ai une nouvelle adresse que j'ai testée vendredi dernier : vraiment très agréablement surpris, un menu incroyable!!!

  2. Feel the Food octobre 15, 2014 at 19:01 #

    Merci pour ce super compte-rendu ! J'irai dès mon retour. Si tu aime cette cuisine va chez Yoann Conte à Veyrier-du-Lac.
    Bon appétit, je retourne à mon burger et ma salade d'automne ;-)

  3. José octobre 16, 2014 at 02:31 #

    Dis donc, c'est pointu tout ça! Cela nous change des kebab, hot dog et autres chinese fast food...
    Merci pour le compte rendu!

  4. Sabrina octobre 17, 2014 at 20:12 #

    J'ai adoré ton article tellement franc ! J'aime bien comme tu écris et tes photos sont sympas. Je suis contente d'avoir lu ton point de vue puisque moi j'avais vraiment bien apprécié les plats proposés et le show ;) à bientôt

  5. Nouhad octobre 18, 2014 at 11:08 #

    Haha lukas!! Bel article.. Tu m' as bien fait rire.. Je n ai pas de collection de tintin a vendre mais c est une idee ^^

  6. Manuel octobre 18, 2014 at 22:06 #

    Magnifique article sur un personnage de la gastronomie. J'ai lu de nombreuses choses sur lui, sa personnalité, sa philosophie et je dois dire être assez fasciné. Heureux que tu aies pu vivre cette expérience!

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