Ciné-recette: L’authentique sauce à la viande des Affranchis

En 1974, le jeune réalisateur Martin Scorsese, récemment encensé pour son film Mean Streets, met en scène Italianamerican. Dans ce documentaire, le géant du cinéma en devenir questionne ses parents sur leur vie à New-York et leurs origines siciliennes. Le film est à la fois un document historique fascinant sur les immigrés italo-américains dans la Grande Pomme et une mine d'information sur les influences qui ont nourri l'œuvre du réalisateur.

En écoutant les intonations de Charles Scorsese, le père, on croirait entendre Robert de Niro dans le film Les Affranchis. Ses histoires sur la vie à Little Italy rappellent furieusement les meilleurs passages de Mean Streets. Durant ce long et passionnant entretien, l'irrésistible Catherine Scorsese prépare sa fameuse sauce à la viande. Une base de tomate dans laquelle elle fait mijoter divers morceaux de viande et qui accompagnera un plat de pâtes.

Cette même sauce se retrouve dans l'inoubliable scène de la prison des Affranchis. Paulie qui tranche une gousse d'ail avec une lame de rasoir, c'est peut-être une des scènes les plus marquantes du cinéma de gangster.

Vinnie, le taulard en charge de la sauce, n'est autre que le père de Martin Scorsese, 15 ans après Italianamerican. À un autre moment du film, on retrouve Catherine qui incarne la mère de Tommy (Joe Pesci).

Revenons à notre recette. En voyant ces scènes, on est étreint par l'envie irrépressible de goûter à ces saveurs qui évoquent un mode de vie et une époque particulière. Où retrouver la méthode de préparation la plus authentique? Comment se rapprocher au mieux de ce que pouvait déguster Martin Scorsese dans son enfance? C'est ce que nous voulons reproduire, juste? Je veux être Ray Liotta!

Et bien, il se trouve que Catherine Scorsese a laissé la recette complète de la sauce à la viande dans le générique de fin d'Italianamerican. Dans le documentaire, elle raconte que cette dernière lui a été livrée par sa mère et sa belle-mère. Cela signifie que cette recette familiale de première main remonte aux années 30 ou 40, lorsque les grand-parents de Martin Scorsese arrivèrent à New-York. À cette époque, les immigrés durent adapter les recettes de leur pays aux produits et conditions du Nouveau Monde, créant, du coup, un tout nouveau genre de gastronomie: la cuisine italo-américaine. Je trouve ça parfaitement fascinant.

Voici la recette en question directement traduite par mes soins :

Faites revenir un oignon et une pincée d'ail dans l'huile.

Jetez-y un morceau de veau, un morceau de beauf, quelques saucisses de porc et un os de cou d'agneau (NDT: !). Ajoutez une feuille de basilic.

Lorsque la viande a coloré, retirez la et réservez sur une assiette.

Ajoutez une boîte de concentré de tomate et de l'eau.

Mixez une boîte de tomates entières et ajoutez. Portez à ébullition.

Ajoutez sel, poivre et une pincée de sucre. Laissez cuire un moment.

Remettez la viande à mijoter pendant une heure.

Pendant ce temps, préparez les boulettes (NDT: Encore de la viande!). Mettez une tranche de pain sans la croûte, deux œufs et un trait de lait dans un bol contenant du veau et du bœuf haché. Ajoutez sel, poivre, un peu de fromage et quelques cuillerées de sauce tomate. Mélangez à la main (NDT: Le meilleur moment), roulez-les et jetez-les dans la sauce. Cuisez une heure.

Si c'est pas de la recette hardcore. Comme vous pouvez le voir, les quantités sont à la louche. De même, les ingrédients restent parfois vagues et laissent libre cours à l'interprétation du cuisinier.

Moralité: C'est une recette familiale qui autorise les variantes. En cherchant sur le Net, vous trouverez de multiples versions pour vous inspirer si vous avez des doutes sur telle ou telle étape. Pour la mienne, j'ai fait l'impasse sur le cou d'agneau et le basilic. J'ai aussi ajouté du porc haché dans les boulettes.

Pour les morceaux de viande, j'ai pris des jarrets de veau -avec la moelle, c'est idéal -, de la saucisse tessinoise luganighe et du bouilli de bœuf. Si vous voulez faire simple, je vous suggère de ne faire que les boulettes et les saucisses.

Ma viande avant cuisson, glorieuse:

Ma viande, après coloration, prête à transmettre son arôme à la sauce tomate:

Justement, la voilà qui frémit doucement. J'espère que vous avez le son et que vous pourrez profiter de cette douce mélopée gourmande:

Un peu plus tard, ce sont les boulettes qui font les belles:

Elles ne seront pas colorées mais directement cuites dans la sauce. Attention à être délicat au début pour ne pas les défaire. Avec la sauce tomate intégrée, elles sont un peu plus molles que d'habitude. Mais pas d'inquiétude, elles deviendront plus fermes en cuisant. Vous saurez que vos boulettes sont parfaites si elles sont moelleuses à l'intérieur.

Je ne vous ai pas encore parlé des pâtes. Je vous recommande des penne rigate mais des spaghetti feront aussi bien l'affaire.

Pour un repas plus complet, des légumes cuits ou crus seront les bienvenus. Au plus simple, une salade de concombre et tomates sera toute indiquée. Pour ma part, j'ai préparé des haricots sautés à l'huile d'olive, ail et oignons.

Une fois que votre recette est terminée dressez une table simple et servez à même la casserole avec un vin rouge italien.

Il ne vous reste plus qu'à refaire le monde entre amis ou en famille.

Je ne peux pas trop vous dire à quel point j'adore cette recette. C'est la cadeau des générations qui nous ont précédé. Le fruit de l'esprit de son temps et des circonstances d'une époque.

Un exemple de cuisine lente et modeste dont l'objectif est avant tout de réunir autour de la table. J'espère que vous vous y essaierez et saurez en tirer tout l'esprit. Avec le digestif, peut-être un whisky ou une grappa, n'oubliez pas d'avoir une pensée pour la famille Scorsese qui a pris le temps de nous transmettre cette recette délicieuse.