Nous avons déjà parlé viande rouge à de multiples reprises sur ce site, comme ici, là ou encore là. Mais avec le restaurant Trilby, on touche gentiment au Graal de l’amateur de bidoche. Ce dernier reste pourtant étonnement discret dans la presse et sur la Toile alors qu’il propose une carte de bœuf exceptionnelle. Une sélection d’une demi-douzaine de races qui répondent à la passion des gourmets pour le noble animal. « Nous avons voulu créer un lieu où le client pourrait laisser libre cours à ses envies sans concessions. La viande de bœuf est statistiquement le plat le plus commandé sur la carte de nos restaurants et c’est pourquoi nous en avons fait la star du menu », me dit Caroline Boesch, responsable marketing du groupe hôtelier Manotel. Car, comme beaucoup de belles adresses genevoises, le Trilby est un restaurant d’hôtel. C’est dans le tout nouveau N’vy, taillé sur mesure pour la « génération Y », que trône ce temple de la barbaque haut de gamme.

Honneur: Guérilla Gourmande a pu visiter les cuisines de ce lieu 100% plaisir. Pierre Molinier, le chef de cuisine, m’a accueilli à bras ouvert dans son antre afin d’y photographier des morceaux à mouiller son pantalon. « Ce n’est pas simple de se fournir régulièrement avec autant de races parfois difficiles à obtenir. Nous changeons donc souvent la carte en fonction de ce qui est disponible. » C’est clair que vous n’allez pas vous plaindre que la Blonde d’Aquitaine est temporairement remplacée par le Charolais. Les deux sauront s’accorder avec votre wagyu, à n’en point douter.

Pierre Molinier, chef au Trilby

Pierre travaille en collaboration avec Armel Bedouet qui, de son côté, a propulsé récemment son resto, Le Duo de l’Hôtel Royal, à 16/20 au Gault & Millau. Le concept est donc le fruit d’une réflexion commune entre la direction et les chefs talentueux du groupe Manotel. Le résultat est d’ailleurs plus abouti qu’un steakhouse: Le Trilby propose à ses hôtes une cuisine, certes généreuse et centrée sur le bœuf, mais pas pour autant simpliste.

Les recettes et ingrédients sont pensés pour une clientèle jeune et connectée avec les tendances culinaires du moment comme en témoigne le succulent et festif ceviche servi en amuse-bouche.

Plus sobre mais pas moins à la page, le tartare de veau est accompagné de chips de patates douces (22 CHF). Un plat sans fausse note qui reflète le niveau élevé de la cuisine.

Cette modernité n’empêche pas l’équipe de Pierre Molinier de servir une véritable cuisine de produit, finalement sans esbroufe. Ainsi, le Carpaccio de bœuf mi-fumé, mi séché « de chez Créttaz » (12 CHF) est un des grands plats que j’ai pu goûter cette année. C’est pourtant le moins cher de la carte. Que voulez-vous? Une viande de bœuf en provenance du val d’Hérens qui combine la profondeur du fumé avec la concentration gustative d’un séchage léger tout en préservant la fraîcheur de la chair. Le tout surmonté de Gruyère réserve et assaisonné d’huile d’olive fumée. Toute la tradition bouchère valaisanne dans une assiette au prix du fast-food. Merci, au revoir, on bâche.

Sauf que non! Il est temps de se rincer l’œil avec des pièces de viande d’exception que le chef a tout spécialement sorties pour nous. L’occasion de se rendre compte de l’importance de la race dans le goût et la texture du bœuf.

Amateur de tendreté et de viande maigre? Le filet de blonde d’Aquitaine, délicat et d’un beau rouge uniforme, est fait pour vous.

Le même morceau, mais provenant d’un Black Angus, est plus foncé et superbement nervuré de graisse intramusculaire. Oui, c’est la partie où vous pleurez.

Même exercice avec l’entrecôte de Parthenaise. Une viande peu connue chez nous en provenance de l’ouest de la France. Équilibrée et juteuse, elle regroupe les qualités d’une viande de bœuf pour gourmets.

À l’opposé, le wagyu d’Australie ne peut certes pas prétendre au même équilibre selon les critères occidentaux. Mais il reste à mes yeux le roi des boucheries. En plus, la qualité proposée au Trilby est au top: un marbré époustouflant – score de 7 sur 9 selon la notation australienne – pour un aspect superbe à la coupe et un goût si différent du bœuf commun. Deux entrecôtes qui proposent des expériences rigoureusement différentes.

Avec un tel choix de viandes, difficile de ne pas mettre cette adresse sur sa liste. Evidemment, le prix peut-être une barrière. La trilogie de Wagyu, Charolais et Blonde d’Aquitaine (98 CHF) a de quoi effrayer les porte-monnaie les plus dodus. Il est néanmoins possible de s’en sortir à meilleur compte en évitant les viandes les plus prestigieuses.

Une suggestion: zappez les desserts, passables, et misez tout sur le produit idolâtré. Vous pouvez aussi vous consoler en vous disant que le service de voiturier est offert. Carrément pratique puisque le Trilby est situé en pleine ville de Genève. Quant au service, en jean Diesel, il est à la fois décontracté et ultra-professionnel.

Vivez l’expérience jusqu’au bout. Avant ou après le repas, n’hésitez pas à prolonger la soirée au bar qui, comme le reste de l’hôtel, est plongé dans un décor contemporain bardé d’œuvres d’art. On craint d’abord le kitsch, et puis, non. Tout est bien en place dans un joyeux brouhaha ultra-tendance où les mixologues formés à l’américaine sauront vous concocter des cocktails dans les règles de l’art. Guettez également les afterworks, durant lesquels les tapas sont offertes au son du DJ.

L’hôtel N’vy, c’est un parc d’attraction pour trentenaires argentés et sans enfants ou hommes d’affaires pas encore assagis. On vogue dans un autre univers. Les barrières s’estompent et le raisonnable disparaît gracieusement. On pourrait se trouver à Hong-Kong ou à New-York, sans attaches, dans un lieu où seule subsiste l’incarnation jusqu’au-boutiste d’une génération ultra-branchée et infatigable.

Un voyage qu’on ne peut s’empêcher de recommander, contre la bonne-mesure et pour la liberté. Une adresse dans laquelle on pourra faire de belles fêtes luxueuses sans les manières encombrantes des 5 étoiles. Pour un anniversaire, une séduction ou pour épater la galerie, c’est un endroit encore méconnu, peu fréquenté et un tantinet exclusif qui invite à l’excès. Et l’excès, on aime un peu.